Félicien Grillot, franc-comtois d'origine, région dont il avait gardé l'accent, imposant par sa haute stature, portant bien l'uniforrne vert d'inspecteur des Eaux et Forêts, arrive à Saïda en 1920. Ayant en charge une énorme circonscription limitée par Mascara, Bel-Abbes, Tiaret et au sud l'immensité du désert, il eut une activité intense, mais discrète par définition, puisque les arbres ne parlent pas. Une dizaine de gardes forestiers, sous ses ordres, logeait dans des maisons forestières disséminées dans les forêts de tamaris, lentisques, chênes verts, pins et autres genièvre, aux noms évocateurs de Merdja, Touta, Hassasnas, Aioun-el-Baranis, Barra, Aoun, Guettara, etc... Ces gardes forestiers, isolés au milieu de ces grandes étendues, assuraient une surveillance constante face aux inconscients qui allumaient, volontairement ou pas, des incendies ou qui faisaient paître leurs troupeaux dévorant les jeunes pousses. Ils assuraient aussi le reboisement de ces vastes territoires.

Les premières années de sa présence à Saïda, c'est en carriole ou à cheval que Félicien Grillot faisait ses inspections dans des contrées où seules des pistes permettaient le passage d'une monture; il connaissait tous les chemins et eut le mérite de faire de l'écologie avant même que cette notion ait été vulgarisée. Il y eut ensuite, vers 1930, la facilité et le confort de la voiture. Passionné par la nature, c'est bénévolement qu'il se rendait dans les écoles pour faire comprendre combien était important pour nos régions dénudées: "l'Arbre". De même dans les douars il diffusait ses conseils aux populations rurales. Pour les générations futures il créa la ceinture de verdure sur les pentes du Mont Abdelkrim au sud ouest de Saïda. Oui son oeuvre la plus importante, bien que très discrète et invisible à l'oeil de des concitoyens, puisqu'il faut des années pour faire pousser un arbre, restera la création de la ceinture de verdure sur les pentes du Mont Abdelkrim, montagne de la Croix, où des milliers de pins ont été plantés.

Il a travaillé pour les générations futures dont beaucoup, hélas, ne verront rien. Et peu de Saïdéens, sans doute, se souviennent aujourd'hui des processions de petits bourricots qui gravissaient la montagne dès le lever du jour en été, transportant des touques de zinc contenant l'eau de la rivière pour arroser les jeunes pousses pour survivre. Tous les Saïdéens connaissaient aussi la pépinière nichée au fond du Vieux-Saïda où Félicien Grillot surveillait et sélectionnait les plants les plus adaptés à notre région. Il devait aussi se rendre très souvent en inspection dans les forêts les plus reculées et les plus isolées pour veiller à la sauvegarde des végétaux en traquant, par exemple, les fabrications clandestines de charbon de bois. Mais il savait aussi, en bon vivant qu'il était, se faire plaisir avec de mémorables parties de chasse dans ces forêts giboyeuses où pullulaient perdreaux, lièvres, lapins et tant d'autres espèces; et d'aussi mémorables parties de belote avec ses amis du Cercle amical.

La vie de Félicien Grillot, nommé à Saïda en 1920, est un exemple parfait de l'attraction et du charme que pouvait exercer notre bonne ville sur des fonctionnaires arrivant de la métropole et qui, en s'implantant rapidement solidement, devenaient de vrais Saïdéens Que d'exemples avons-nous en mémoire. Saïda prit en effet beaucoup d'importance pour la famille Grillot puisque c'est là que se tissa son histoire jusqu'en 1962. Des quatre soeurs, seule l'aînée Charlotte épousa un Mascaréen, Charles Génova; les trois autres se marieront à Saïda: Renée Chatin dont l'époux Marcel, jeune lieutenant de la Légion, fut tué au combat en 1944, laissant deux enfants de 2 et 3 ans; Denise, unie à Pierre Marmey, administrateur de la Commune Mixte (1941-1944) et enfin Simone, veuve de notre ami, le très regretté Henri Messonnier.

Le "Vent de l'Histoire" nous ayant rejetés, ce fût ensuite, pour Félicien Grillot, le retour au pays natal en 1962, où il mourut en 1971, laissant le souvenir d'un homme de conviction, au caractère marqué par le courage physique et par des valeurs aujourd'hui mises un peu à l'écart. Son épouse eut un rôle, certes plus effacé mais fut un rouage essentiel pour l'épanouissement et la réussite de sa famille. L'oeuvre de Félicien Grillot restera sur notre sol natal, où il consacra tant d'années et d'efforts, comme un témoignage, hélas invisible, à nos yeux de Saïdéens nostalgiques. Saluons sa mémoire de Saïdéen parfaitement intégré avec sa famille dans notre bonne ville qui était devenue sa seconde patrie.


Echo de Saïda

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