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Et
cependant, sous prétexte de ne point les pousser à la révolte, on a laissé
tranquilles ensuite ces tribus, qui ont égorgé près de trois cents personnes,
hommes, femmes et enfants. Des cavaliers arabes trouvés chargés de dépouilles
avec des robes de femmes espagnoles sous leurs selles, ont été relâchés,
dit-on, sous prétexte que les preuves manquaient. Donc, le 10 au soir, Bou-Amama
campait à Haci-Tirsine, à vingt-deux kilomètres de Saïda. A la même
heure, le général Cérez télégraphiait au gouverneur que le chef révolté
tentait de repasser dans le sud. Les jours suivants le hardi marabout pilla
les villages de Tafraoua et de Kralfallah, chargeant tous ses chameaux de
butin, emportant la valeur de plusieurs millions en vivres et en marchandises.
Il remonta de nouveau à Haci-Tirsine pour reconstituer sa troupe; puis il
divisa son convoi en deux parties, dont l'une se dirigea vers Aïn-Kétifa. Là, elle fut arrêtée et pillée par le goum de Sharraouï, colonne Brunetière. L'autre section, commandée par Bou-Amama lui-même, se trouvait prise entre la colonne du général Détrie campée à El-Maya et la colonne Mallaret postée près du Kreïder, à Ksar-el-Krelifa. Il fallait passer entre les deux, ce qui n'était pas facile. Bou-Amama envoya alors un parti de cavaliers devant le camp du général Détrie qui le poursuivit avec toute sa colonne, jusqu'à Aïn-Sfisifa, bien au delà du Chott, persuadé qu'il tenait le marabout devant lui. La ruse avait réussi. La voie était libre. Le lendemain du départ du général, le chef insurgé occupait son camp, c'était le 14 juin. De son côté le colonel Mallaret, au lieu de garder le passage du Kréider, s'était campé à Ksar-el-Krelifa, quatre kilomètres plus loin. Bou-Amama envoya aussitôt un fort détachement de cavaliers défiler devant le colonel qui se contenta de tirer les six coups de canon légendaires. Et, pendant ce temps, le convoi de chameaux chargés passait tranquillement le Chott au Kréider, seul point où la traversée fût facile. De là le marabout dut aller mettre ses provisions à l'abri chez les Mogar, sa tribu, à quatre cents kilomètres au sud de Geryville. D'où viennent, dira-t-on, des faits si précis ? De tout le monde. Ils seront naturellement contestés par l'un sur un point, par l'autre sur un autre point. Je ne puis rien affirmer, n'ayant fait que recueillir les renseignements qui m'ont paru les plus vraisemblables. Il serait d'ailleurs impossible d'obtenir en Algérie un détail certain sur ce qui se passe ou s'est passé à trois kilomètres du point où l'on se trouve. Quant aux nouvelles militaires, elles semblaient, pendant toute cette campagne, fournies par un mauvais plaisant. Le même jour, Bou-Amama a été signalé sur six points differents par six chefs de corps qui croyaient le tenir. Une collection complète des dépêches officielles avec un petit supplément contenant celles des agences autorisées constituerait un recueil tout à fait drôle. Certaines dépêches, dont l'invraisemblance était trop évidente, ont d'ailleurs été arrêtées dans les bureaux, à Alger. Une caricature spirituelle, faite par un colon, m'a paru expliquer assez bien la situation. Elle représentait un vieux général, gros, galonné, moustachu, debout en face du désert. Il considérait d'un oeil perplexe le pays immense, nu et vallonné, dont les limites ne s'apercevaient point, et il murmurait: "Ils sont là....., quelque part..." Puis, s'adressant à son officier d'ordonnance, immobile dans son dos, il prononçait d'une voix ferme : "Télégraphiez au gouvernement que l'ennemi est devant moi et que je me mets à sa poursuite". Les seuls renseignements un peu certains qu'on se procurait venaient des prisonniers espagnols échappés à Bou-Amama. J'ai pu causer au moyen d'un interprète, avec un de ces hommes, et voici ce qu'il m'a raconté. Il s'appelait Blas Rojo Pélisaire. Il conduisait avec des camarades, le 10 juin au soir, un convoi de sept charrettes, quand ils trouvèrent sur la route d'autres charrettes brisées, et, entre les roues, les charretiers massacrés. Un d'eux vivait encore. Ils se mirent à le soigner; mais une troupe d'arabes se jeta sur eux. |
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