Malgré sa
situation géographique pré-saharienne, Saïda, comme le constatait
déjà, en 1881, Guy de Maupassant, est "une petite ville a la française".
En effet, cette cité du sud Oranais, qui fut l'un des fiefs d'Abd-El-Kader,
offre un parfum provincial, et non seulement au printemps, quand les acacias
fleuris embaument ses places publiques. Rien n'est plus Vieille France
que sa charmante mairie
aux allures de castel tourangeau, son théâtre d'un style à la fois fouillé
et pur, son église Jeanne
D'Arc qui, au bout d'une rue paisible, s'insère dans le bleu du ciel.
Au centre de la ville, non loin du monument à la mémoire des soldats
de la Légion Étrangère et de l'Armée d'Afrique, un cadran
solaire, construit en 1935, conseille au passant : "Fais
comme moi, ne compte que les heures ensoleillées". Cette devise,
Saïda (le nom arabe signifie: l'heureuse) semble l'avoir adoptée depuis
toujours, puisque ses habitants, dit-on, pratiquent l'art de se laisser
vivre, et de prendre le temps comme il vient: accablé de lumière et chaud
(42° à l'ombre, parfois, en été), ou gris et froid (souvent 10° au-dessous
de zéro, en hiver).
Ces caractéristiques sont dues aux influences contraires des deux régions
à la croisée desquelles la ville est bâtie: extrême pointe du Tell,
d'une part, Hauts plateaux de l'autre. L'altitude, de 850 mètres environ,
intervient aussi dans ce climat contrasté qui fait s'allier le peuplier
au palmier et l'amandier au térébinthe. D'ailleurs, la végétation se révèle
partout abondante: elle sertit d'un velours majestueux le magnifique monument
aux morts des deux guerres, teinte d'un vert frémissant les eaux de la
piscine municipale, prête la douceur de ses frondaisons au tracé
spacieux des avenues, accompagne les routes d'alentour de pépiements d'oiseaux
et de frissonnements d'ailes.
C'est dans le vieux Saïda, le long du circuit de l'oued,
que l'enchantement atteindra son comble: des arbres de différentes essences,
mais où dominent le pin et l'eucalyptus, fusent là parmi des fleurs de
toutes sortes. Sur les falaises qui surplombent ce ravin (dont l'heureux
reboisement est dû aux services forestiers), d'étranges pans de murs sollicitent
l'attention: ce sont les ruines d'un fort d'Abd-El-Kader. On trouve aussi,
pas très loin de ces parages, des grottes préhistoriques. Et, si l'on
veut bien se rappeler que Saïda fut édifiée sur les ruines d'une cité
romaine, on ne déniera pas à cette "Porte du Sud" le mérite de s'ouvrir
sur de passionnants horizons.
A Saïda, Abd-El-Kader s'était fait construire une maison de plaisance.
Il y venait, entre deux combats, savourer du repos. Montagnac décrit ainsi
cette demeure: "Une habitation d'un goût exquis, dans le style arabe,
décorée de moulures en plâtre, parfaitement dessinées ; de bas-reliefs
en marbre, très bien sculptés; de jolies galeries soutenues par plusieurs
rangs de colonnes; portes et fenêtres en ogive; dalles en marbre blanc".
Quand les troupes de Bugeaud arrivèrent, Abd-El-Kader, contraint d'évacuer
les lieux, fit incendier la ville. Mais il épargnera la maison de plaisance
où il avait souvent rêvé de lendemains exaltants.
Ce furent nos soldats qui la détruisirent, probablement sans enthousiasme,
obéissant aux lois draconiennes de la guerre. Quant au valeureux émir,
peut-être eut-il, vers la fin de son existence, la nostalgie de Saïda
"l'heureuse". Et peut-être évoqua-t-il, en même temps, le Chott Chergui
(à 252 kms de distance), où, affirme le Guide Joanne de 1862: "on pouvait
attraper de petites gazelles endormies en avançant avec précaution et
en jetant son burnous par-dessus".
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