Saïda l'heureuse
Chapitre 12

Malgré sa situation excentrique, à la limite méridionale de l'urbanisation et des cultures, Saïda était, d'après son importance démographique, la neuvième ville de l'Oranie, comparable ainsi à Perrégaux, Tiaret (son pendant oriental), Ain-Temouchent, ou Beni-Saf. Dans un simple marché arabe, animé périodiquement par la présence temporaire de nomades chameliers du Sud, les Français avaient instillé un sang nouveau. Ils ont investi, au ksar primitif de Saïda, une personnalité humaine et l'ont transformé, en y créant une cité vivante et permanente de sédentaires, créatrice de richesses. Dans cette région, jadis presque déserte, s'étaient groupées: cultures de céréales, de vignes, de primeurs, exploitations forestière et alfatière, activité commerciale, profitant de l'équipement d'un noeud de voies routières et ferroviaires à longue distance. En 1962, la vie foisonnait, là où il y a 120 ans ce n'était qu'aridité et somnolence.

Qui peut se permettre d'oublier le labeur de Titan que représentaient, alors, au profit des Musulmans autant que des Européens, la création et la croissance d'une ville et de villages, à l'orée du Sud Oranais, l'ouverture de plus de 1000 kilomètres de routes principales, de 850 kilomètres de voies ferrées, le défrichement, l'équipement, l'irrigation, la mise en culture, le reboisement, la restauration des sols, la mise en place de points d'eau. Quel miracle supplémentaire, n'auraient pas réalisé nos ingénieurs de l'hydraulique en captant et en utilisant les nappes d'eau douce dont ils avaient découvert l'existence sous le Chott-ech-Chergui, cette eau stérile?

Malgré le sang versé par nos soldats métropolitains et nos valeureux Légionnaires, le labeur de nos colons et de nos techniciens, l'égoïste Métropole, ignorante des choses locales, a abandonné, là comme ailleurs en Algérie, sans compensation, "ce que nous n'avions pas perdu". L'oeuvre civilisatrice effectuée a été ruinée, d'un trait de plume inconscient, compromettant à la fois le potentiel vital, des Musulmans et, par ailleurs, notre ravitaillement en pétrole que nos ingénieurs avaient découvert et équipé.


Texte de Robert Tinthoin


 

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