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Je
préfère, quant à moi, les terrains pierreux, secs, durs et mêlés de salpêtre,
où croissent les romarins et les absinthes; on y marche à l'aise, la couleur
en est belle, l'aspect franchement stérile, et c'est là surtout qu'on voit
grouiller sous ses pieds, ramper, fuir et se tortiller tout un petit peuple
d'animaux, amis du soleil et des longues siestes sur le sable chaud. Les
lézards gris sont innombrables. Ils ressemblent à nos plus petits lézards
de muraille, avec une agilité que paraît avoir doublée le contentement de
vivre sous un pareil soleil. On en rencontre, mais rarement, qui sont fort
gros; ceux-ci ont la peau lustrée, le ventre jaune, le dos tacheté,
la tête fine et longue comme celle des couleuvres. Quelquefois, une vipère
étendue et semblable de loin à une baguette de bois tordu, ou bien roulée
sur une souche d'absinthe, se soulève à votre approche, et, sans vous perdre
de vue, rentre avec assurance dans son trou. Des rats, gros comme de petits lapins, aussi agiles que les lézards, ne font que se montrer et disparaître à l'entrée du premier trou qui se présente, comme s'ils ne se donnaient pas le temps de choisir leur asile, ou bien comme s'ils étaient à peu près partout chez eux. Je n'ai encore aperçu d'eux que ce qu'ils me laissent voir en fuyant, et cela forme une petite tache blanche sur un pelage gris. Mais au milieu de ce peuple muet, difforme ou venimeux, sur ce terrain pâle et parmi l'absinthe toujours grise et le k'taf salé, volent et chantent des alouettes, des alouettes de France... Même taille, même plumage et même chant sonore; c'est l'espèce huppée qui ne se réunit pas en troupes, mais qui vit par couples solitaires; tristes promeneuses qu'on voit dans nos champs en friche, et, plus souvent, sur le bord des grands chemins, en compagnie des casseurs des pierres et des petits bergers. Elles chantent à une époque où se taisent presque tous les oiseaux, et aux heures les plus paisibles de la journée, le soir, un peu avant le coucher du soleil. Les rouges-gorges, autres chanteurs d'automne, leur répondent du haut des amandiers sans feuilles, et ces deux voix expriment avec une étrange douceur toutes les tristesses d'octobre. L'une est plus mélodique et ressemble à une petite chanson mêlée de larmes; l'autre est une phrase en quatre notes, profondes et passionnées. Doux oiseaux qui me font revoir tout ce que j'aime de mon pays, que font-ils, je me le demande, dans ce pays ? Et pour qui donc chantent-ils dans le voisinage des antilopes et la morne compagnie des scorpions et des vipères à cornes ? Qui sait, sans eux, il n'y aurait plus d'oiseaux peut-être pour saluer les soleils qui se lèvent ? Texte de Eugène Fromentin, (Un été dans le Sahara) |
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