Saïda l'heureuse
Chapitre 2

De part et d'autre de Saïda, la "Ghaba" (la forêt) offre ses solitudes boisées, ses clairières cultivées, ses dépressions bocagères, ses sommets couronnés de pin d'Alep et de chênes vert à glands doux. La première de ces deux essences végétales préfère les sols calcaires et se contente d'une pluviométrie voisine de 300 m/m par an. Le chêne vert, indifférent quant aux sols, prospère avec une température inférieure à 11 degrés et une pluviométrie un peu plus abondante (500 m/m). De croissance lente, il constitue parfois une futaie dense, dégradée par places en une garrigue, qui s'associe avec le thuya, le genévrier, le palmier nain et le chêne kermès. Au sud d'Ain-el-Hadjar et Mahroum, en une ligne brisée discontinue, s'imbriquent, tantôt les trouées dénudées des clairières défrichées, tantôt l'étendue monotone et pierreuse de la steppe.

A la périphérie méridionale de la "Ghaba", les musulmans peu nombreux, vivent de la forêt en semi-nomades. Ils ramassent graines de pin et glands doux pour l'alimentation du bétail, bois mort, bois d'oeuvre, et jouissent encore de tolérances de pacage. La forêt fournit à ces indigènes: le bois, matériau essentiel pour les besoins indispensables: "guessas" de chêne pour rouler le couscous, cuillères creusées dans les souches de thuya, piquets de tente, cadres de métiers à tisser, perches pour la couverture des gourbis, sans oublier les fibres d'alfa et de palmier nain pour confectionner: "tonags" pour cuire le couscous, et l'argile qu'ils pétrissent en "mechmaghr" ou four à pain, plats à "tadjins" ou ragoût et poterie culinaire.

Au-delà des plaines de Saïda, d'Ain-el-Hadjar et du plateau isolé des Maalifs, on quitte le Tell, le pays des cultures. Là, s'effacent les terres labourables susceptibles d'être ensemencées en blé et en vigne où les récoltes ne manquent jamais, grâce à une pluviométrie suffisante et à l'absence d'écarts de température trop accentués. S'estompent également la limite méridionale de l'olivier et la multiplicité des agglomérations rurales et urbaines des sédentaires. Plus au sud, s'étend un monde original, la steppe, pays du mouton et de la transhumance, du nomadisme, des terres de parcours des tribus chamelières recherchant des pâturages d'été dans le Tell méridional. Ce curieux "pays" se maintient à plus de 1000 mètres d'altitude et mérite bien l'expression imagée que lui donnèrent nos soldats de la conquête: "le petit désert".

La steppe est le lieu de prédilection des essences herbacées dures, coriaces, épineuses ou duveteuses, abrouties par les troupeaux: alfa, sparte, armoise, drinn qui n'apparaissent que par tâches, plus au nord. Autour du Chott-ech-Chergui, s'installe une auréole des plantes halophytes, salsolacées, auxquelles les Arabes donnent le nom de "Guettaf". A perte de vue, sur la plaine plate, à peine vallonnée, la "mer d'alfa" ondule sous les rafales du vent sur deux millions d'hectares jusqu'à Méchéria et Geryville. Les indigènes l'utilisent pour la fabrication familiale de nattes, chapeaux, sandales, ecourtins à huile, couffins, objets de vannerie et sparterie. La cueillette exige une main-d'oeuvre nombreuse, fournie, vers 1880 par des immigrés espagnols, comme ceux exterminés, à Khalfallah, prés du Kreider, en 1881 par la révolte des Ouled-Sidi-Cheikh et de Bou-Amana.

En 1962, grâce à l'exploitation commerciale, due à la colonisation française, c'est une ressource importante pour les indigènes des tribus nomades qui viennent camper à proximité des chantiers d'alfa, à l'époque de la cueillette. Il s'agit simplement d'enrouler les feuilles d'alfa sur un bâtonnet, puis de les détacher de la souche par une traction brusque et légère. Transportée à dos de chameaux par les nomades, cette graminée est groupée sur les chantiers, installés à proximité d'une gare de la voie ferrée d'où l'alfa, pesé et pressé en balles, gagne le port d'exportation d'Arzew.

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