Saïda Blédi
Chapitre 9

La Légion... Le 2ème Etranger se crée et s'installe à Saïda en 1886. Pour nous Saïdèens, c'est une date historique. Et bien vite allaient se nouer entre la Légion et la ville des liens d'amitié et d'estime qui, durant 40 ans, ne se démentiront pas. La Légion apportait la sécurité, la stabilité, à une région encore sous l'émotion de l'aventure de Bou Amama, et une contribution importante à l'économie locale; On était fournisseur de la Légion un peu comme on était fournisseur du Roi. Mais elle apportait aussi son esprit dans le respect de sa devise et de ses traditions.

Elle apportait une haute tenue morale, intellectuelle et culturelle, en même temps que ses qualités de courage, de rigueur, de panache et de fidélité. Secrète comme une banque Suisse, creuset où se fondirent dans un même moule des hommes d'origine et de milieux différents, elle ne fit jamais état d'avoir compté dans ses rangs des héritiers de familles régnantes ou ayant régné, qui trouvèrent là la chance de pouvoir servir leur pays ou leur idéal. Avant la guerre de 1914, un Légionnaire de 2ème classe mourut à Saïda, et un bateau de guerre allemand, le "Breslau", vint chercher son cercueil en rade d'Oran. C'était un neveu du Kaiser Guillaume II.

Pour nous, les jeunes de l'époque, ou les gosses que nous étions, la Légion c'était les concerts sur la place le dimanche, et les retraites aux flambeaux que nous suivrions à travers la ville. M. Queru, qui orchestra la marche de la Légion, et dont les enfants Madeleine et Jean étaient mes amis, était le capitaine chef de musique, et M. Barnier, l'immense tambour-major.

Je me souviens plus vaguement des colonels commandant le régiment. Je cite de mémoire les colonels Desortes, Bruneau, Catroux, Simondet, de Lanley et plus tard, quand le régiment fut remplacé par le bataillon d'instruction, les commandants Jeantet, Cale, Calve, Vias, Even, Coldeboeuf, et j'en oublie. Elle engendra des héros de légende dont les noms sont sur toutes les lèvres: le général Rollet, Brunet de Sérigné dont la caserne de Saïda portait le nom, notre ami le général Gautier, les capitaines de Tolosani et Cosette qui se firent tuer pendant la guerre d'Algérie, et aussi Sergent, mon ami Pierre Sergent, dont on peut discuter les idées, mais dont personne n'a le droit de mettre en doute l'idéal, la foi, le courage et la pureté.

Je ne peux pas citer tous ceux que j'ai connus. Mais je tiens à en citer deux: Feschmann, qui fut notre collaborateur à la mairie, et surtout Kahlen, l'Adjudant-Chef Kahlen, aussi connu à la Légion que les plus grands. Et voici que me remonte à la gorge le souvenir de ces douze petits Saint-Cyriens qui nous arrivèrent à Saïda un matin d'été. Au sortir de l'école, ils avaient choisi la Légion et ils furent volontaires pour l'lndochine. Un seul à ma connaissance en est revenu et mon coeur est amer. Ils avaient noms Guérrin, Leblond, Blondeau, Bessy, Lemaitre... Ils ont eux aussi le droit au Livre d'or de la Légion.

C'est cela la Légion... Une manière de vivre, de penser, de mourir aussi, dont nous avons été imprégnés pour toute notre vie, et sans laquelle Saïda ne serait plus tout à fait Saïda tant nous avons été marqués de son empreinte et éblouis par son rayonnement. Au mois de juin 1930, appelé à d'autres tâches, le 2ème R.E. quittait une ville en deuil et défilait, musique en tête, devant une population muette d'émotion et qui pleurait sur son passage.

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