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Tout
cela se raconte maintenant en quatre lignes et les mots reviennent toujours
les mêmes, tués, assassinés, enlevés, mais il faut l'avoir vécu pour comprendre.
Mme Karsenty fut tuée derrière sa fenêtre, André Gerlier, un jeune cousin
instituteur, qui habitait rue du 4 septembre, au premier étage d'un immeuble,
fut réveillé par une balle de mitrailleuse lourde qui pénétra dans le mur
juste au-dessus de sa tête, Mme Chéraqui Sadia fut égorgée un matin
dans son appartement, Schwok tué en pleine ville, Navarro sur la route du
cimetière, Ensallem mon voisin, poignardé dans ma rue; devant ma maison,
le caïd Ghazi, notre ami Ghazi, assassiné d'une balle dans la tête à midi.
La liste s'allongeait lugubrement. Tout cela devenait intolérable. Souvenez-vous... Hors la ville, Cabana Diego tué en opération, Ségura, M. et Mme Favier à Doui Tabet, de Rubia à Nazereg, Chambon à Franchetti, Jean Cabar du Gaité à Nazereg ainsi qu'Albert Brémond et Lucien Traverse, notre pauvre Lucien, et encore Marcel Garrigues à Fénouane, Alfred Garcia à Taoudmout, le caïd Boudria dans sa ferme, les deux enfants de notre ami Serrano dans la cote de Dublineau et encore et toujours, enlevés et disparus à tout jamais, M. Cuchet, un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées, avec ses collaborateurs, Sanchez un chef de chantier et Vincent Blanquer, un ami de mon fils dont l'épouse habite aujourd'hui Sarlat, et aussi Blas Herrera et Diaz Eugène et encore le caïd Boulenouar assassiné en mission aux Hassasnas et dont André Netwiller, administrateur adjoint de la Commune Mixte, alla chercher le corps, plus par estime et amitié que par devoir, au péril, je dis bien au péril de sa vie. Mais allez arrêter André Netwiller et son ami le capitaine de gendarmerie Pujol dont le courage et la dignité furent un exemple pour tous. Le caïd Amar Benhalima fut tué à Paris au cours d'un voyage, et Hamidat M'Hamed à Mostaganem où il venait d'être nommé sous-préfet. Et ne pensez surtout pas que les musulmans aient été épargnés. Souvenez-vous... Dans les quartiers musulmans de Doui Tabet et de Hamarous, on trouvait des hommes égorgés tous les jours ou presque, cependant que les fellahs de la région se repliaient en ville où ils étaient, disaient-ils, plus en sécurité. Souvenez-vous du massacre des musulmans de Wagram. Il n'eut d'égal que celui de Melouza. Ils payaient cher leur fidélité. Aussi longtemps que je vivrai, je me souviendrai du mois d'avril 1957. Ce mois là, il ne se passa pas de jour qui ne fût marqué d'un deuil nouveau ou d'une cérémonie funèbre. Ma conscience se révolte et mon cœur se soulève au souvenir des mutilations, des atrocités et des actes de sauvagerie dont furent victimes mes concitoyens et les jeunes soldats du contingent qui tombèrent entre les mains des rebelles. Car les militaires subirent aussi des pertes et personnellement, j'ai déploré la mort du capitaine De Lassayette installé dans ma propriété de Bou Rached et qui fut tué au combat de Bentrif. De Lassayette faisait partie de l'équipe de France de concours hippique. Et la liste s'allongeait chaque jour douloureuse. Et pourtant, l'arrivée du 129ème régiment d'Infanterie remplacé bientôt par le 8ème RIM, et qui s'était installé dans les fermes de la région avait freiné l'élan de la rébellion. Mais ces jeunes troupes de pacifications n'étaient pas, au début, opérationnelles. Elles le devinrent et magnifiquement. Au contact des régiments de tirailleurs, de la Légion et de parachutistes venus nettoyer la région, elles s'aguerrirent et se battirent avec courage. Tout allait déjà mieux? Bigeard arriva enfin, et avec les troupes placées sous ses ordres, et deux commandos musulmans formés d'éléments invraisemblables et commandées par le capitaine Georges, l'espoir allait changer de camp. Saïda fut débarrassée de ses barbelés, les rebelles traqués, battus à leurs propres méthodes, cédèrent et disparurent. A l'automne 1958, l'ordre était rétabli. Nous sortions d'une longue nuit, nous refaisions surface. |
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