Saïda Blédi
Chapitre 17

La suite, vous la connaissez. Je n'ai pas la prétention de faire oeuvre d'historien. Je veux seulement parler de ma ville, de mes concitoyens, de mes amis, de leurs réactions aux événements qui suivirent, de leurs espoirs déçus, de leurs peines, de leur courage aussi, et de leur dignité quand tout fut irrémédiable. Souvenez-vous... Sollicité par la Quatrième République en détresse, réclamé par l'armée, le parlement, la nation, le Général de Gaulle allait être porté au pouvoir. La réticence à son égard des milieux politiques métropolitains allait être balayée quand, paraissant au balcon du Gouvernement Général et lançant le célèbre: "Je vous ai compris", cent mille Français l'acclamèrent. C'était un plébiscite. Il fit naître au coeur de tous un immense courant d'espérance.

Nous allions être enfin gouvernés et défendus. Pour la première fois depuis longtemps, dans Alger, les jeunes musulmans manifestant dans les rues acquiesçaient à son retour et cautionnaient sa politique. C'était important. D'un bout à l'autre de I'Algerie, les marques de fidélité et d'attachement à la France se multipliaient. Les premières déclarations consolidaient notre espérance. Et pourtant tout cela ne dura pas. Au fil des mois et des ans, aux déclarations du début "La France, française de Dunkerque à Tamanrasset", du "Pour qui prenez-vous de Gaulle", du "drapeau français flottant sur Alger", ses "couteaux aux vestiaires", allaient succéder dans une graduation délibérée, des déclarations plus nuancées. De l'appel aux rebelles, on en arrive "à la paix des braves", et à "l'autodétermination dans la solution la plus française". Le processus de désengagement était en marche et l'indépendance était en vue.

Le 18 mars 1962 furent signés les accords d'Evian. Si à Paris on avait envisagé que I'Algérie accablée et abattue allait subir cette politique sans réaction, on se trompait grossièrement. A l'espérance folle qu'avaient suscitées les premières déclarations allait succéder une déception infiniment profonde. L'Algérie était K.O. debout. Elle allait réagir, elle allait réagir violemment. L'armée avait basculé, elle n'était pas contre nous, mais plus avec nous. La rébellion devenait urbaine. Alger d'abord, Oran ensuite connurent des jours sanglants et sombres. L'explosion de colère fut à la mesure de la déception ressentie, et d'elles naquirent tous les mouvements d'autodéfense dont on peut aujourd'hui, à froid, condamner les excès, mais qui permirent à l'époque d'éviter le pire.

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